(N.B. : Texte rédigé dans la nuit du vendredi 19 au samedi 20 mars 2021. Sa publication a été retardée par un problème technique, résolu tard dimanche soir, 21 mars.)
DAKAR, 22 mars 2021 – « Nous sommes tristes ce matin. » Ainsi commence un des nombreux textes du journaliste malien Adam Thiam que j’ai relus ce vendredi 19 mars. Un éditorial publié par le journal malien Le Républicain, un des médias pour lequel a régulièrement écrit Thiam, qui a également conseillé plusieurs dirigeants maliens dont l’actuel président de transition, Bah N’Daw.

L’article, intitulé « Nous sommes tristes », date du 22 mai 2014.
« Nous sommes tristes ce matin. Tristes pour nos fils tombés hier et les jours avant. Nous pensons à leur familles qui sont plus tristes que nous. »
Moi aussi. A chaque nouvelle d’attaque semant blessés, morts, traumatisme et désolation. Cela arrive trop souvent, et cela est arrivé en trop d’endroits de ce vaste pays nôtre. Une kyrielle de zones de tragédies dans laquelle, je me dis, même Alexandre Soljenitsyne se perdrait : cet auteur russe, lorsque interdit d’écrire au goulag, aurait mémorisé trois centaines de pages, pour leur donner vie une fois libéré, dit-on.
« Oui, nous sommes tristes ce matin. Tristes pour ce pays qui relevait pourtant la tête. »
Toujours d’actualité
Bientôt sept ans et, hélas, cela n’a pas (beaucoup) changé pour le Mali. Chacun des six paragraphes de « Nous sommes tristes » semble avoir été écrit hier. Avec lucidité et justesse : la tragédie qui « se passe chez nous » et les vies qu’elle fauche, « quel que soit le côté d’où elle tombe » ; l’armée à former, doter pour faire face « aux nouveaux défis du maelstrom sahélien », la nécessité des « nouvelles confiances à reconstruire » ; le Mali mis à la Une plus à cause de ses « reculs » que grâce à ses « exploits » ; et l’écheveau mêlant rébellion, extrémisme et mafia dans lequel se débat le Sahel.
Il y a tableau plus beau, pour un pays, n’est-ce pas ? (Et pour la région qui l’abrite aussi, n’est-ce pas ?)
« Au-delà de la tristesse, l’humiliation ? Oui. Mais elle ne sert à rien et c’est trop tard », a écrit Adam Thiam, néanmoins optimiste : « A sa place, réaffirmons notre amour pour le Mali, notre passion pour le Mali, notre confiance en un Mali qui trébuchera, tombera parfois mais qui se relèvera toujours. »
Homme de qualités
Depuis l’annonce du décès d’Adam Thiam, les hommages pleuvent, qui saluent l’homme et ses qualités : discrétion, humilité, intelligence, finesse…
Sans le connaître personnellement – bien sûr, il m’arrivait de le solliciter pour un article sur le Mali ou le Sahel -, je peux néanmoins lui reconnaître les mêmes bonnes dispositions. Un esprit élégant et brillant – j’ajouterais même : séduisant. Plus jeune, je ressentais la même chose en suivant à la télévision publique malienne son frère Thierno Ahmed Thiam – j’étais alors trop jeune pour pouvoir mettre un mot (un mot juste) sur ce sentiment. Volupté en serait un des noms, ainsi qu’on le dit, selon le dictionnaire, de ce « que l’on se plaît à goûter dans toute sa plénitude », de ce « dont on se délecte intensément ». Thierno Ahmed Thiam fait partie de ceux à qui je dois d’apprécier les mots, quand ils sont bien taillés, bien enfilés et savoureux (je lui dois, par ailleurs, mon béguin musical pour la chanteuse américaine Jennifer Rush – celle de « Power Of Love » du moins : il la diffusait plus souvent qu’à l’occasion dans ses émissions, dont la fameuse « Jouvence » du samedi soir).
Je ne connaissais pas personnellement Adam Thiam. Mais je me sens proche de lui, comme nous nous sentons proches de – apparentés à – tous ceux qui nous émeuvent, nous éveillent, nous émerveillent, par leur œuvre, leur art, sans contrainte, sans coercition.
Je ne connaissais pas personnellement Adam Thiam, et son décès m’afflige. A entendre les échos des chagrins qui s’expriment ici et là, dans la foule des anonymes, parmi ceux qui ne le connaissaient que par écrits ou écrans, nous sommes nombreux à en être attristés.
Hypocrisies sociales et blessures nationales non pansées
Le lire me manquera. Lire ses nouveaux textes.
Parce que c’est un bonheur, de lire Adam Thiam. Il peut aussi bien taquiner les Dogons, ses cousins à plaisanterie…
« Et comme disent, du moins selon les mauvaises langues peul, nos amis Dogons. Il paraît que même l’ancien directeur de la Fromotion de l’Alpabétisation avait la mignonne tendance à permuter la lettre P et la lettre F.
Faux pas devient ainsi ‘Paux fas’, friperie devient ‘priferie’, professeur, ‘fropesseur’, feu follet, c’est ‘peu pollet’ et parti politique finit par être ‘farti folitique’. Que voulez-vous ? Beaucoup de Peuls disent ‘ze’ à la place de ‘je’, et tous les Malinkés que je connais, y compris ceux qui ont fait leurs humanités, remplacent F par H. »
Adam Thiam, « Pestival dogon : bon pour le rayonnement de notre polklore », Le Républicain, 2 février 2018.
… que mettre à nu nos hypocrisies sociales…
« Tous les vendredis, les Maliens se bousculent dans les mosquées. Chaque jour, il y a de plus en plus de femmes portant le châle et le chapelet. Mais tous les jours que Dieu fait, le pays conforte sa marche vers son chaos.
Quelqu’un peut me dire enfin comment on peut accumuler autant d’invocations et se porter tous les jours un peu plus mal ? »
« … sans vouloir me mêler des affaires du Mali qui est devenu la propriété privé de quelques privilégiés armés de kalach, peut-on me dire pourquoi Oumou Sangaré, Salif Keïta, Toumani Diabaté, Balla Tounkara et autres Omar Konta travaillent pour le Mali et que nous, on travaille contre le travail ? Quelqu’un peut-il me dire pourquoi toutes ces bénédictions deviennent autant de malédictions contre nous ? »
Adam Thiam, « Plus on implore Dieu, plus le pays s’enfonce », Le Républicain, 11 septembre 2012
… ou porter sa plume dans nos blessures nationales toujours pas pansées, ici :
« Face à un paysannat en sueur, à des opérateurs économiques qui se plient en quatre pour approvisionner le pays, puis de payer les taxes qui sont la principale source de nos revenus en ce moment, et face à des amis sincères désireux de nous tendre la perche, l’austérité devait être la norme. Elle ne se mesure pas à la renonciation au salaire ministériel mais à chaque économie possible pour améliorer les conditions de vie des troupes. »
« On ne doit surtout pas oublier, une fois les passions apaisées, qu’autant que sur de bonnes élections, sur des institutions solides et des citoyens informés pas intoxiqués, la démocratie repose sur une armée républicaine. Aux USA, en Birmanie comme ici [au Mali]. »
Adam Thiam, « Le Mali est sur nos lèvres, pas dans nos coeurs », Le Républicain, 24 août 2012.
… comme ici :
« Sous nos yeux, c’est vrai, Kidal, où l’on pouvait bivouaquer autour de n’importe quelle oued les années 1980, est devenu un gisement de rançons. C’est vrai, une lamentable dérive a fait de notre pays le corridor de la coke sud-américaine et un entrepôt d’otages à ciel ouvert. »
« La mort fortement médiatisée de Ahmed Al Tilemsi ne suffira pas à couvrir les clameurs de réprobation qui avaient gagné jusque la salle de l’Eid mercredi. Au contraire, elle en soulève deux autres : celle de l’amnistie de fait dont bénéficie Iyad Ag Ali qui ne fait tout de même pas la navette entre Mars et le Sahara, et celle des leçons apprises ou ignorées. »
Adam Thiam, « La fuite en avant de Bamako et Paris », Le Républicain, 12 décembre 2014.

Adam Thiam est un vrai homme de lettres. De belles lettres. Ou, peut-être, sont-elles belles, parce qu’elles sont juste parées de leur simplicité ? On (qui, déjà ?) dit que la simplicité est un art.
Adam Thiam est un artiste, as du verbe et plume transversale. La mort nous l’a pris, lui aussi.
Je dis « lui aussi », parce que La Faucheuse a été très active dans mes entourages, ces dernières années, ces derniers mois, ces derniers jours. Comme le 4 mars, en nous enlevant mon oncle Oumar Sall, « tonton Barou » ; et ce vendredi 19 mars, ma cousine Ami Mané.
Qu’ils reposent tous en paix – eux et tous ceux partis avant eux. Qu’ils soient accompagnés, dans leur Grand Voyage, par le pardon de ceux qu’ils ont laissés ici. Et qu’ils demeurent longtemps dans nos mémoires. Et les grâces du Très Miséricordieux.
Il va manquer à la presse et au Mali
Aucun doute pour moi : Adam Thiam va vraiment manquer à la presse au Mali. Il va manquer au Mali aussi, je le crois.
J’ose espérer qu’il avait quelque part le projet de rassembler son abondante production d’écrits publics dans une série d’ouvrages, pour la postérité. Ou que ses proches y veilleront. Ce serait une oeuvre d’utilité publique. Pour la conscience nationale. Et peut-être – je le souhaite – une vraie source d’inspiration pour tous les aspirants/jeunes journalistes.
Quand nous nous serons remis du choc de son décès, j’espère que nous n’oublierons pas de relire Adam Thiam. Peut-être l’écouterons-nous mieux, avec le temps.
« Certes, nos temps sont des temps de fortes perturbations météorologiques, et ce à l’échelle de la planète. (…) Mais attention à tout mettre sur le compte du changement climatique. La tragédie du jour [inondations meurtrières survenues à Bamako, le 16 mai 2019, NDLR] résulte surtout de nos insouciances, de nos ignorances et de notre attitude stérile à attendre Dieu là où il n’y a aucune chance qu’Il nous entende. Car ce n’est pas le Ciel qui est en train de nous punir. C’est nous qui refusons d’apprécier à sa juste valeur le grand cadeau qu’est la vie. »
Adam Thiam, « Laisser-aller mortel », Benbere, 17 mai 2019.
Coumba Sylla
Bonjour Merci beaucoup Coumba. Quand la mémoire va chercher du bois mort… Alhassane AG Mohamed
Le lun. 22 mars 2021 à 03:59, Les errances de Coumba a écrit :
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Merci beaucoup Al Hassane. Vraiment.
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