DAKAR – Entretien avec le philosophe sénégalais Souleymane Bachir Diagne le vendredi 22 décembre 2017 à l’Université Cheikh Anta Diop (UCAD), au dernier jour d’un colloque organisé par la Société Sénégalaise de Philosophie (SOSEPHI) pour lui rendre hommage (20-22 décembre 2017).

Question : Tous les témoignages qui ont été faits sur vous parlent d’un homme agréable, qui ne se fâche jamais. Vous ne vous fâchez jamais ?
Souleymane Bachir Diagne : Ah si, si, ça m’arrive ! Mettons que je ne me fâche jamais quand les gens sont là, en public. Non, non, je plaisante… Effectivement, je suis d’un tempérament plutôt calme et j’essaie d’éviter les motifs de me fâcher. C’est vrai que c’est la réputation que j’ai. Donc, j’imagine que ça doit correspondre à la réalité.
Question : Qu’est-ce qui pourrait vous mettre hors de vous, en privé ?
Souleymane Bachir Diagne : L’injustice. Vous avez vu sur le film qui a été montré [le jeudi 21 décembre 2017, rassemblant des témoignages sur lui de collègues, amis et anciens étudiants, réalisé par Fatou Warkha Sambe, NDLR], un de mes étudiants a rappelé m’avoir vu une fois m’énerver, et cet énervement venait du fait qu’un professeur avait profité de sa situation de professeur pour parler de manière agressive à un étudiant en thèse et l’avait quasiment humilié. C’était une injustice qui m’avait révolté. J’avais oublié cette histoire, mais cet étudiant mien s’en est souvenu. Je crois que je suis quelqu’un qui supporte très mal l’injustice.

Question : Je m’intéresse beaucoup aux lectures, aux livres. Qu’est-ce que vous lisez en ce moment ?
Souleymane Bachir Diagne : En ce moment, je suis en train de lire un livre de Frédéric Gros qui s’appelle « Désobéir », j’ai fini également un roman policier de Michael Connelly qui s’appelle « Two Kinds Of The Truth ». Quand je voyage, j’aime bien lire les romans policiers, ça me fait me sentir en vacances. Parce que tout ce que je lis, c’est lié à mon travail. Donc, les lectures qui me sortent vraiment de mon travail et qui me reposent, ce sont les romans policiers et les romans de science-fiction.
Question : Mais vous lisez tout, en général ?
Souleymane Bachir Diagne : Je lis tout. Je suis un boulimique de la lecture. Je lis effectivement beaucoup de choses.
Lire les poèmes en silence, « ce n’est pas suffisant »
Question : En dehors du cadre académique, de ce que vous pouvez lire dans le cadre de votre travail, quels auteurs attirent votre sympathie particulièrement ? Je vous ai entendu citer Agatha Christie… [au deuxième jour du colloque, le jeudi 21 décembre 2017. Voir Souleymane Bachir Diagne : « Enseigner, c’est partir de sa propre ignorance ».]
Souleymane Bachir Diagne : Oui, j’ai dû avoir lu tous les Agatha Christie. Voilà le genre de detective stories, de romans policiers que je lis. Comme je vous l’ai dit, je lis également beaucoup de science-fiction. Evidemment, les grands classiques de la science-fiction : Asimov [Isaac Asimov] ; Herbert [Frank Herbert] ; tous ceux-là… Ce sont mes lectures préférées. Et également, dans des moments où je suis particulièrement méditatif, j’adore lire de la poésie. A haute voix.
Question : A haute voix ? Pourquoi ?
Souleymane Bachir Diagne : Parce que la poésie est avant tout musique. Et vous vous rendez compte de la musicalité de la poésie quand vous la lisez à haute voix. Lire avec les yeux de la poésie, ce n’est pas suffisant.



Question : Une de vos amies [l’historienne Françoise Blum] a dit que vous taquiniez de la guitare. Vous en jouez encore ?
Souleymane Bachir Diagne : Je grattouille. Je n’ai jamais été très bon [en guitare], mettons que je plaçais mes doigts suffisamment pour sortir des accords qui permettaient de chanter ensemble. J’aurais dû apprendre systématiquement, mais j’espère m’y remettre sous la conduite de mon ami Felwine Sarr qui, lui, est un grand musicien.
Felwine Sarr & Dolé [Si vous avez du mal à lire la vidéo, elle est ici.]
Question : Vous avez une idée, aujourd’hui, du niveau des étudiants et des élèves au Sénégal ? Et est-ce que cela vous inquiète ?
Souleymane Bachir Diagne : Je suis inquiet un peu du niveau général de notre éducation, lié à beaucoup de phénomènes dont la grande massification. Un des instruments de mesure de la fragilité du niveau qui est celui de nos élèves, à l’heure actuelle, c’est la maîtrise de la langue. C’est une chose inquiétante, parce que ne pas maîtriser une langue, c’est aussi ne pas maîtriser les outils de l’argumentation. Et ça, c’est assez inquiétant. Donc, il faut redresser les choses sur ce plan-là. Un aspect qui m’inquiète aussi, c’est que (…) il a fallu, devant la poussée démographique et la massification, recruter un peu rapidement, à une certaine époque, des gens qui n’étaient probablement pas très bien formés pour l’enseignement, ni peut-être même enthousiastes suffisamment pour le métier d’enseignant. Et ceux-là, malheureusement, sont dans le système. Alors, il faut espérer qu’un système de formation continue et puis l’expérience feront que ces enseignants seront de meilleurs enseignants qu’ils ne le sont à l’heure actuelle. C’est un des nombreux défis auxquels notre système éducatif fait face aujourd’hui.
Propos recueillis par Coumba Sylla
[Prochainement sur ce site : des extraits de témoignages et communications, nombreux, faits durant le colloque + la déclaration de Souleymane Bachir Diagne à la clôture de la conférence.]
Un commentaire sur “Les lectures délassantes de Souleymane Bachir Diagne : polar et science-fiction (entretien)”