- « Poésie et Mélange (1889-1939) », de Paul Valéry, livre électronique édité par la Bibliothèque Numérique Romande (BNR), janvier 2016.

Précision des éditeurs :
« Sources :
Ce livre numérique est réalisé principalement d’après « Valéry, Paul, « Oeuvres », Paris, NRF (Sagittaire), 1931″. D’autres éditions ont été consultées en vue de l’établissement du présent texte. La photo de première page, « Vers le Grand Salan depuis le Canal du Midi », a été prise par Laura Barr-Wells, le 03.05.2012. Le portrait de Paul Valéry a été pris par Pierre Choumoff, après 1921. Les dessins dans le texte (« Colonnes », Narcisse » et « Cimetière marin de Sète ») sont de Paul Valéry. »
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Extraits
L’homme et son potentiel de douleur
« L’homme n’a que soi-même à craindre – son potentiel de douleur. »
(Paul Valéry, « Poésie et Mélange (1889-1939) »)
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« Si tu m’es antipathique, ma négation est prête »

« L’état d’esprit de négation devance souvent l’occasion de nier. Avant que tu aies parlé, si tu m’es antipathique, ma négation est prête, quoi que tu doives dire – car c’est Toi que je nie.
Ceci existe souvent dans les rapports de LA GENERATION QUI VIENT avec celle qui est, ou dans ceux d’une nation et d’une autre.
Et, dans tous les Etats, tous les régimes et toutes les sociétés, quand la politique y dépend de l’opinion, quels que soient le problème, l’incident, l’événement, la difficulté ou l’affaire qui se prononcent, avant tout examen comme après toute démonstration, rien n’y fait : Tous les coeurs (comme dit la Bible) sont endurcis, ou plutôt, durcissent dans l’instant même, à peine soupçonnent-ils, flairent-ils le fumet de l’adversaire. »
(Paul Valéry, « Poésie et Mélange (1889-1939) »)
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« Quel effroi ! Descendre dans le Temps ! »

« Un esprit allait voir cesser son état ; il devait tomber de l’éternité dans le Temps, s’incarner :
+Tu vas VIVRE!+
C’était MOURIR pour lui. Quel effroi ! Descendre dans le Temps ! »
(Paul Valéry, « Poésie et Mélange (1889-1939) »)
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Dormir assez pour changer « les ténèbres en lumière »
– Combien de TEMPS as-tu dormi, mon ami ?
– J’ai dormi de quoi changer la nuit en jour et les ténèbres en lumière… De quoi ne plus savoir qui je fus, qui je serai, de quoi attendre que je sois ce que je suis – celui qui va reprendre avec ennui ou avec joie la charge de mon +histoire+ et de mes devoirs, mes chaînes et mes forces, ma figure… Tous ces écarts de moi, qui sont moi. Et qui est MOI ?
(Paul Valéry, « Poésie et Mélange (1889-1939) »)
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« Le fil (du Temps) s’est rompu »
– Combien de TEMPS avez-vous dormi ?
– Je ne sais l’heure qu’il est. Comment le saurais-je ? Le fil s’est rompu. La terre perdue de vue. Pas d’échange de signaux. Au réveil, je débarque. Je ne sais où l’on a été, pendant ce voyage sans but, sans compagnons, sans route, sans regard, qui me mène où j’étais et où je suis.
(Paul Valéry, « Poésie et Mélange (1889-1939) »)
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« Au-dessous d’un portrait… je lirais mes tourments et me reconnaîtrais »

« Au-dessous d’un portrait.
Que si j’étais placé devant cette effigie
Inconnu de moi-même, ignorant de mes traits,
A tant de plis affreux d’angoisse et d’énergie
Je lirais mes tourments et me reconnaîtrais. »
(Paul Valéry, « Poésie et Mélange (1889-1939) »)
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Les imperfections « indispensables » pour la société

« Purgez la terre des vaniteux, des niais, des faibles de coeur et d’esprit ; exterminez les crédules, les timides, les âmes qui font nombre ; supprimez les hypocrites ; détruisez les brutaux, et toute société devient impossible.
Il faut, de toute nécessité, pour que l’ordre règne, qu’il y ait beaucoup d’hommes très sensibles aux honneurs et distinctions publiques ; beaucoup d’hommes sans résistance devant les mots qu’ils ne comprennent pas, devant le ton et la violence verbale, les promesses, les images vagues et grossières, les fantômes et les idoles du discours. Il y faut aussi une certaine proportion d’individus assez féroces pour apporter à l’ordre la quantité d’inhumanité dont il a besoin ; il en faut aussi que les besognes les plus répugnantes n’écoeurent point. Il importe enfin qu’il existe une grande quantité d’êtres intéressés, et que la lâcheté soit plus commune, et par là, politiquement plus forte que le courage.
Mais si tous ces types d’imperfection sont indispensables, par leurs imperfections mêmes, à la vie d’une société, comment et pourquoi sont-ils dépréciés, mal qualifiés, condamnés dans les personnes par l’opinion qui émane de cette même société ? La sécurité générale, la stabilité, la prospérité reposent cependant sur eux. »
(Paul Valéry, « Poésie et Mélange (1889-1939) »)
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La religion, « combinaison » d’histoire, de légendes, de logique, de police, etc.

« Ce qui me frappe le plus dans la religion c’est… l’impureté. Mélange, et plus que mélange, d’histoire, de légendes, de logique, de police, de poésie et de justice, de sentiment, de social et de personnel…
Et plus que mélange, mais combinaison – mais c’est là sa force – ce qui la fait plus +naturelle+, plus pareille à une végétation. Et par quoi elle offre à des êtres divers toujours quelque partie par quoi ils s’y prennent. »
(Paul Valéry, « Poésie et Mélange (1889-1939) »)
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« Phantasme et production de l’espoir ou du désespoir »
« +TU EXISTES… TU ES+, dit l’Amour, et il exprime de tous ses yeux son émerveillement, son impossibilité de croire que l’être absolument souhaité, voulu, nécessaire, soit réel, soit à la fois être et idée, création de lui-même et offrande du sort. Et l’on observe cette étrangeté qu’il faille de la FOI pour croire à ce qui est, pour accepter l’existence et la présence de l’objet inappréciable, comme il en faut pour donner quelque substance et puissance à ce qui n’est que phantasme et production de l’espoir ou du désespoir. »
(Paul Valéry, « Poésie et Mélange (1889-1939) »)
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Délicieux « mélange d’amour et d’esprit »
« Rien de plus délicieux que le mélange de l’esprit à la vie, de la liberté et inventivité de l’esprit à l’activité fonctionnelle du régime. L’on est toujours tenté de les dissocier et opposer. Mais un repas excellent tout animé de mots et d’idées, nous fait semblables à des dieux (et peut-être supérieurs à eux). Ainsi du mélange d’amour et d’esprit. »
(Paul Valéry, « Poésie et Mélange (1889-1939) »)
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« La boisson la plus enivrante »
« Le mélange d’Amour avec Esprit est la boisson la plus enivrante.
L’âge y joint ses profondes amertumes, sa noire lucidité – donne valeur infinie à la goutte de l’instant. »
(Paul Valéry, « Poésie et Mélange (1889-1939) »)
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« Si nous étions un autre »

« Certaines de nos craintes ne sont que l’envers (que l’imagination des effets) des sévices et mauvais traitements que nous ferions subir à quelqu’un si nous étions un autre et s’il fût nous. Nous imaginons en creux ce que nous ferions dans le relief. »
(Paul Valéry, « Poésie et Mélange (1889-1939) »)
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Agir bien et penser mal
« Rien de plus dangereux que l’homme qui agit bien et PENSE mal. Le contraire ou le symétrique de l’hypocrite est fort redoutable. »
(Paul Valéry, « Poésie et Mélange (1889-1939) »)
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Coumba Sylla
@ Dakar