- « Rire avec Dieu – Aphorismes et contes soufis », de Sayd Bahodine Majrouh, Editions Albin Michel, collection Spiritualités vivantes, 2015. Première publication : Editions Albin Michel, 1995.
Texte français de Serge Sautreau.


« A l’heure où les rieurs sont haïs par certains musulmans qui ne connaissent pas leur tradition, cette anthologie est la preuve que le sourire, le décalage, voire la dérision sont partie intégrante de la civilisation islamique : dans le monde des soufis, le rire, le paradoxe qui bouscule le +religieusement correct+, ont toujours été l’une des voies légitimes d’approche du divin. »
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A propos de l’auteur…

« Un intellectuel qui ne plie pas face aux dogmes doit être éliminé : telle est la commune certitude des adeptes de la tyrannie, quels que soient les oripeaux idéologiques dont se pare celle-ci. (…)

(…) Sayd Bahodine Majrouh n’a cessé, au fil d’une oeuvre de conteur et de visionnaire, de mettre en garde contre les hystéries de l’histoire : dogmatismes, fanatismes, intégrismes en tous genres ne lui paraissaient porteurs ni d’espoir ni de vérité. Voilà de quoi se rendre insupportable aux yeux de ceux que rebute l’exigence de liberté. Leur réponse : une anonyme et honteuse rafale de mitraillette – doublement honteuse même, puisque jamais revendiquée. »
(Serge Sautreau, avant-propos de « Rire avec Dieu – Aphorismes et contes soufis », de Sayd Bahodine Majrouh)
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Extraits

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L’humour des soufis
« (…) les soufis – et non les moindres – rient et savent comment rire. Leur humour possède une double fonction : à l’égard des hommes, il est un fluide spirituel ; il fait passer le courant, et le sens du courant. A l’égard du divin, il se révèle un canal supérieur de communication ; mieux que de l’intuition : la présence. »
(Sayd Bahodine Majrouh, introduction de « Rire avec Dieu – Aphorismes et contes soufis »)
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« J’ai oublié tous ses péchés »

« Après une vie particulièrement chargée de péchés, un méchant homme vint à mourir. Le chef spirituel de sa communauté, un ascète, refusa de prononcer les prières et bénédictions rituelles à l’occasion des funérailles.
Au cours de la nuit suivante, l’ascète, en rêve, reçut la vision de cet homme exécrable, pleinement réjoui, menant grande vie au Paradis.
– Seigneur ! s’écria-t-il, dans Vos Jardins, une âme aussi ignoble ! Comment cela est-il possible ?
D’En Haut, tomba la Réponse :
– C’est à cause de toi. Quand tu l’as insulté au point de lui dénier le droit à la dernière prière, J’ai oublié tous ses péchés. »
(Farid al-dîn Attâr (1), « La Conférence des oiseaux » [« Manteq-u-Teyr » ou « Mantiq al-Tayr » (2)], cité par Sayd Bahodine Majrouh, « Rire avec Dieu – Aphorismes et contes soufis »)
[(1) Il existe plusieurs variantes orthographiques pour le nom de ce poète mystique persan, dont Farīd ad-dîn Aṭṭār, Farîd-ud-dîn ‘Attar, Farîd od-dîn ‘Attâr, Férid eddin Attar
[(2) Autres traductions de « Mantiq al-Tayr » : « Le langage des oiseaux », « Le Cantique des oiseaux ».]
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« Un errant dans l’errance infinie »

– J’ai perdu ma clef, et me voici assis sur ce talus, face à cette porte close ! Que faire ?
– O ami, si tu restes assez longtemps devant cette porte, quelqu’un finira bien par te l’ouvrir. Mais tu as plus de chance que moi : tu as une clef, et tu connais la porte – alors que je n’ai ni clef ni porte et n’en ai jamais eu.
– Qui es-tu donc ?
– Je ne suis qu’un errant dans l’errance infinie.
(Farid al-dîn Attâr, « La Conférence des oiseaux », cité par Sayd Bahodine Majrouh, « Rire avec Dieu – Aphorismes et contes soufis »)
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Aliéné, enchaîné mais enjoué

« Abubakr Wassetti visite un asile d’aliénés. Il y rencontre un jeune homme chargé de fers, de lourdes chaînes aux chevilles, qui chante, rit et esquisse des pas de danse.
– Comment peux-tu te réjouir ainsi ? demande le Soufi
– O maître ignorant ! s’esclaffe le fou. Les chaînes sont à mes pieds, non dans mon coeur.
(Farid al-dîn Attâr, « La Vie des grands hommes de Dieu » (3) [« Tazkerat-ul-Owliya » ou » Tazkirat-ul-Awliya »], cité par Sayd Bahodine Majrouh, « Rire avec Dieu – Aphorismes et contes soufis »)
[(3) Ou « Le mémorial des saints ».]
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« La liberté surpasse les fers »

« Qui te fait du bien te lie.
Qui te fait du mal te libère.
La liberté surpasse les fers. »
(Abul Muzaffar Termezi, cité par Sayd Bahodine Majrouh, « Rire avec Dieu – Aphorismes et contes soufis »)
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« Nettoyer et purifier son coeur » d’abord

« Prier et jeûner sont actions admirables.
Mais nettoyer et purifier son coeur pour en bannir l’arrogance, la jalousie et la cupidité sont actions bien plus admirables encore. »
(Kharraqânî (4), rapporté par Farid al-dîn Attâr, « La Vie des grands hommes de Dieu », cité par Sayd Bahodine Majrouh, « Rire avec Dieu – Aphorismes et contes soufis »)
[(4) Ou Abu al-Hassan al-Kharaqani ou encore Abû’l-Hasan Kharaqânî.]
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Des vivants morts, et des morts vivants

« Beaucoup s’agitent sur la surface de la planète, qui sont cependant des âmes mortes.
Beaucoup enfouis au coeur de la terre, reposent – et sont vivants. »
(Kharraqânî, rapporté par Farid al-dîn Attâr, « La Vie des grands hommes de Dieu », cité par Sayd Bahodine Majrouh, « Rire avec Dieu – Aphorismes et contes soufis »)
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« Une oreille suffit au mot juste »

« Un disciple suffit au maître.
Une oreille suffit au mot juste.
Une aube suffit au soleil pour illuminer le monde. »
(Ansârî (5), rapporté par Jâmî [Djami] (6), « Nafahat-ul-Uns » (7), cité par Sayd Bahodine Majrouh, « Rire avec Dieu – Aphorismes et contes soufis »)
[(5) Khawâdjâ Abdallâh al-Ansârî dit « Shaykh ul-islâm ».]
[(6) Djami ou Mawlānā Djāmī ou encore Abd al-Raḥmān ibn Aḥmad Nūr al-Dīn Ǧāmī.]
[(7) Ou « Nafahat-al-Uns ». Pas d’indication de version française disponible.]
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Coumba Sylla
@ Dakar
Un commentaire sur “Lecture du vendredi 6 septembre 2019 : Sayd Bahodine Majrouh”