- « Mère à mère », de Sindiwe Magona, Editions Mémoire d’encrier, 2019.
Traduction : Sarah Davies Cordova. Postface : Véronique Tadjo.


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A propos de l’auteur…

« Sindiwe Magona, première écrivaine noire de sa génération, est née en 1943 à Umtata [ou encore Mthatha, dans la province du Cap-Oriental (Eastern Cape), dans le sud-est de l’Afrique du Sud]. Romancière, poète, dramaturge, elle vit au Cap, en Afrique du Sud. »
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Extraits

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Le fardeau de parent d’assassin

« Mon fils a tué votre fille.
Les gens me regardent comme si je l’avais fait moi-même. Les plus généreux, comme si je l’avais poussé à le faire. Comme si j’avais toujours pu tout faire faire à cet enfant. Même avant qu’il n’ait six ans, avant qu’il ne perde sa première dent, ou qu’il n’aille à l’école. Même, à vrai dire, avant qu’il ne soit conçu ; quand, avec un manque total de considération ou encore par véritable malice, il s’est implanté dans mon ventre. »
(Sindiwe Magona, « Mère à mère »)
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« Compulsion féroce » de faire le bien

« Mais les gens comme votre fille n’ont aucun sens inné de la peur. Ils croient si fort en leur bonté, sachant qu’ils n’ont fait de mal à personne, pensant qu’ils aident vraiment, qu’il ne leur vient jamais à l’esprit que quelqu’un veuille leur faire du mal.
(…)
Pour les gens comme votre fille, faire le bien dans ce monde est une compulsion féroce, dévorante, qui les consume. Je me demande si cela ne rétrécit pas comme des œillères leur champ de perception. »
(Sindiwe Magona, « Mère à mère »)
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« Une relation directe entre l’heure du coucher et celle du réveil »

« Il se targue d’être capable de rester éveillé la moitié de la nuit. Ce qu’il n’a toujours pas compris, après toutes ses années en vie, c’est qu’il y a une relation directe entre l’heure du coucher et celle du réveil. Il reconnaît facilement qu’il est incapable de se lever le matin, mais il ne voit aucune relation de cause à effet, aucun lien entre cette difficulté quotidienne et ses veillées de couche-tard. Il affirme que son état est naturel, tout comme certaines personnes ont la voix douce et d’autres la voix bourrue. »
(Sindiwe Magona, « Mère à mère »)
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Scénario classique de violences policières

« A ce moment-là, des sirènes de polices retentirent.
La bande de Mxolisi n’avait besoin d’aucun autre avertissement. La police tirerait d’abord et poserait des questions après – c’est-à-dire, si jamais elle venait à en poser. Selon la police, toute personne à deux pas de l’incendie serait le suspect numéro un. »
(Sindiwe Magona, « Mère à mère »)
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La vieillesse « arrive tout doucement »

« Le mercredi est le +jour de congé+ de ma mlungu [Mlungu (isiXhosa) : personne blanche. Terme ironique ou péjoratif, note de la traductrice], imaginez-vous cela. Une femme a une journée de congé, alors qu’elle ne fait jamais de ménage dans cette maison. Ce n’est pas moi qui vais me plaindre. En fait, j’aime son jour de congé et j’ai hâte qu’il arrive, comme le mien le dimanche. Le mercredi, je peux souffler, au lieu d’avoir Mme Nelson sur le dos chaque minute de cette sacrée journée : (…).
Cependant le mercredi, je suis libre comme l’air toute la matinée. D’abord, elle va au gym. Elle dit que c’est un grand hall où tout le monde saute de haut en bas pour ne pas se retrouver vieux, malade ou gros. Madame a très peur de vieillir. Elle pense qu’elle peut empêcher la vieillesse de venir à elle. Elle ne sait pas que la vieillesse arrive tout doucement, lorsqu’elle dort profondément ou quand elle est en train de manger tous ces +zimuncumuncu+ qu’elle aime tant. »
(Sindiwe Magona, « Mère à mère »)
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« Il n’y a jamais eu assez de quoi que ce soit dans nos écoles »

« Jusqu’à ce jour, il n’y a pas assez d’écoles ni d’enseignants à Guguletu pour accueillir tous les enfants. (…) Il n’y a jamais eu assez de quoi que ce soit dans nos écoles. Donc, même aujourd’hui, beaucoup d’enfants ne vont pas à l’école. Pendant la journée, il n’y a pas assez de mères présentes qui obligeraient les enfants à aller à l’école et à y rester toute la journée. Les mères sont au travail. Ou elles sont soûles. Vaincues par la vie. Mortes. Nous mourons jeunes, ces jours-ci. A l’époque de nos grands-mères, et de leurs grands-mères avant elles, les Africains connaissaient leurs arrière-arrière-petits-fils. Aujourd’hui, on a de la chance si on voit son petit-fils naître. A moins, bien sûr, que ce ne soit un de ces petits-enfants dont l’arrivée est une abomination – les enfants que nos enfants font avant même que l’on sache qu’ils ont l’âge de faire des enfants. »
(Sindiwe Magona, « Mère à mère »)
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Autres extraits à lire en ligne sur le site de l’éditeur.
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